Vous tuez l’Éducation — Lettre à Jean-Michel Blanquer et au Gouvernement

Clement Favaron's Statements
6 min readFeb 11, 2021

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En CM1, j’ai sauté une classe. Et c’est probablement ce que je regretterai le moins dans ma vie.

Grace à cela, je suis cette année en Terminale, et non en Première, ce qui veut dire que j’ai la chance de finir mon lycée avant l’application de votre réforme du Baccalauréat.

Hier, vendredi 17 janvier, dans mon établissement, les enseignants organisent une journée « lycée mort ». Ils ont fait grève, simple grève d’abord, contre une réforme qu’ils jugeaient mauvaise à la fois pour les élèves, pour eux, et pour l’Éducation dans notre pays. Vous ne les avez pas écoutés. Ils ont ensuite à nouveau essayé de protester et de vous alerter pendant les corrections du Baccalauréat en juin dernier. Vous avez qualifié leur action de « prise en otage » des copies. Vous avez cherché à les monter contre les élèves, à les monter les uns contre les autres, enseignants grévistes contre enseignants non-grévistes. C’était pathétique. Pathétique et honteux. Vous qui prônez une « école de la confiance », la seule chose que vous faisiez, c’était créer des tensions, ce que l’on appelle communément « diviser pour mieux régner ». Je me rappelle vous regarder à la télévision, en train d’accuser les enseignants, et je me rappelle m’interroger sur vos ambitions. Est-ce cela que vous voulez, un pays où les professeurs sont les ennemis des élèves ?

Vous êtes Ministre de l’Éducation Nationale. Votre mission n’est pas de faire en sorte d’appliquer les volontés du Gouvernement de restrictions budgétaires et de destruction du système éducatif. Votre mission est d’être du côté des enseignants et enseignantes qui travaillent dur tous les jours pour faire leur métier du mieux possible.

Et en même temps que vous vous acharnez à empirer les conditions de travail des professeurs, vos réformes n’apportent rien de bon pour ceux à qui vous mentez en parlant d’égalité des chances. Ceux à qui vous mentez quand vous promettez un avenir radieux. Nous, les élèves.

Votre réforme de l’enseignement en lycée est censée donner à tous les élèves un moyen de réussir leur Baccalauréat et d’entrer dans le supérieur. D’accord, mais à quel prix ? Avoir le choix de matières qui n’auraient pas été liées avant la réforme donnera certainement l’impression à nombre d’élèves qu’ils étudient ce qui leur plaît, qu’ils ne s’ennuient pas, qu’il ne « perdent » pas leur temps à apprendre des choses dont ils n’auront pas besoin dans leur vie. Certes. Mais encore une fois, vous nous mentez. Vous nous faîtes croire que n’importe quel parcours est possible, mais c’est le contraire qui va se produire. Les enseignants du supérieur s’inquiètent déjà du niveau que vont avoir certains élèves qui n’auront pas suivi les cours nécessaires, mais à qui vous affirmez qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Certains élèves vont donc se voir refuser des formations car ils n’auront pas suivi telle ou telle matière puisqu’ils auront composé leur propre « menu » de cours ! Ou alors, bien sûr, ils devront rattraper l’enseignement de toute une année pendant leurs vacances scolaires…

Comment ne pas parler non plus des conditions dans lesquelles cette réforme a été mise en place ? Vous croyez sérieusement que nous sommes incapables de voir que les programmes ont été publiés bien trop tard pour permettre aux enseignants et éditeurs de manuels scolaires d’être prêts à temps pour la rentrée de septembre ? Que même le jour de la rentrée, personne ne savait comme les E3C allaient se dérouler ? Que des interrogations subsistent encore aujourd’hui, à quelques jours des épreuves ? Que beaucoup de choses restent floues sur la mise en place de nombreuses composantes de cette réforme ? Que personne n’a de réponse à nous donner sur ce qui va se passer l’année d’après ? Que cette réforme à été mise en place dans la précipitation pour suivre un calendrier électoral et non le bien-être des élèves ? Personne n’est dupe quant à cela.

Vous parlez d’égalité des chances. C’est tout le contraire que vous faîtes. Mettre tout le monde au même niveau n’a jamais aidé personne à devenir meilleur. Les exemples montrent bien que cela n’aide ni les élèves en difficultés, ni ceux qui réussissent bien. Votre réforme entend homogénéiser tout le monde. Niveler par le bas.

Avez-vous déjà entendu parler du sentiment d’appartenance à une classe ? Ce qui tous les matins nous fait nous lever en sachant que nous n’allons pas seulement en cours, mais aussi retrouver celles et ceux avec qui nous passons nos journées. Les élèves d’une même classe s’entraident et savent qu’ils peuvent compter les uns sur les autres. Mais, à cause de vous, tout ça, c’est fini. Maintenant, les élèves de Première passent huit heures par semaine avec leur classe, et c’est tout. Cela peut paraître enfantin et vous pouvez rétorquer qu’avoir plus de groupes permet de faire plus de connaissances. La suppression des groupes classes conduit pourtant à un réel malaise pour beaucoup d’élèves. Aller au lycée aujourd’hui ne signifie plus la même chose.

Dans mon établissement, chaque vendredi avant les vacances de Noël, nous organisons un défilé. Chaque classe peut choisir un thème, préparer une chorégraphie et effectue un passage devant le reste des élèves. Cette année, la participation des élèves de Première a été en baisse.

Les élèves ne sont pas aveugles. Ils voient parfaitement ce que vous faites. Ils comprennent très bien qu’ils vont passer des épreuves du Baccalauréat à 35 dans des salles de 36, avec du bruit dans les couloirs, un seul surveillant (comment faire si un élève fait un malaise ?), avec des sujets pleins de fautes et des épreuves tout sauf nationales. L’année dernière, j’ai passé les épreuves anticipées de Français en juin. Cette année, le Bac a lieu en janvier, au troisième trimestre, en juin, et encore deux fois en Terminale. Et vous osez encore dire que c’est pour rehausser les notes, pour diluer les épreuves. En rajouter n’a jamais baissé le stress. Jamais.

Et puis ces épreuves seront bien évidemment corrigées par des enseignants qui devront continuer à faire cours aux autres niveaux en même temps. Votre dernière trouvaille ? Numériser les copies et les faire corriger sur ordinateur. Un non-sens au regard de la consommation d’énergie et de ce qu’est corriger une copie de Bac. Bien sûr, vous ne savez pas ce que c’est, corriger une copie de Bac. Évidemment.

Alors, Monsieur le Ministre, ce que je tenais à vous dire aujourd’hui, ainsi qu’au reste du Gouvernement, c’est « bravo ». Bravo. Vous avez tué l’Éducation. Nelson Mandela disait que c’était l’arme la plus puissante pour changer le monde. Vous, au contraire, vous détruisez notre système éducatif pour niveler par le bas, toute la société. Pour tenter de nous cacher encore un peu les véritables problèmes de notre monde. Il est beaucoup plus difficile de se rendre compte de la crise climatique ou de la pauvreté quand on sait moins.

La vérité sur votre réforme, ce que vous ne dites pas en interview, c’est que sa vocation première est de réduire les coûts de l’enseignement. Pour pouvoir investir plus dans l’armée et la police de votre État de plus en plus autoritaire, on réduit le nombre d’enseignants par établissement en supprimant les filières, ce qui permet de nécessiter moins de classe en moyenne. On divise par deux le nombre de surveillants par épreuves du Baccalauréat. Voilà la vraie raison derrière vos réformes. Votre supposée égalité des chances n’a sa place nulle part tant que l’École coûte moins chère. Allez donc taxer les grandes entreprises et les champions de l’évasion fiscale, faites payer les pollueurs avant de couper les vivres de l’Éducation Nationale.

Oui, Monsieur le Ministre, je trouve votre réforme profondément injuste. Profondément hypocrite, aussi. Je doute que cette lettre puisse avoir un quelconque impact, je doute même que vous la lisiez un jour. Mais si personne ne vous le dit jamais, alors rien ne changera. Je ne prétends pas représenter l’opinion de tous les élèves, loin de là. Mais ce que je vous énonce ici n’est pas juste mon ressenti personnel. De plus en plus, un sentiment d’incompréhension monte parmi les jeunes. L’impression de n’avoir en face de nous qu’un groupe de personnes motivées par des intérêts douteux, et en aucun cas disposées à se battre pour leur avenir. C’est vrai pour le climat, c’est vrai pour la justice sociale, c’est vrai pour l’éducation.

Alors s’il vous plaît, Monsieur le Ministre, arrêtez de nous mentir. Cela ne sert à rien.

Merci,

Clement

01/17/2020

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